Vann “Piano Man” Walls: In the evening
par Craig Morrison
Cet album est l’œuvre d’un des plus grands pianistes de rhythm and blues. Harry Eugene Vann est né le 24 août 1918 à Middlesboro, au Kentucky puis il a grandi à Lynch, au Kentucky et à Charleston, en Virginie-Occidentale. Un an après sa naissance, sa mère a épousé son deuxième mari, monsieur Walls. Figurant sur ses vieux enregistrements sous les noms de Harry Van Walls ou Van « Piano Man » Walls, il est aussi connu en tant que Cap’n Vann. La plupart des gens l’appellent Vann.
Dès qu’il a eu six ans, sa mère, une professeure de piano qui jouait à l’église baptiste, lui a enseigné à lire et à écrire la musique. Vann a également joué à l’église baptiste. Il a quitté le foyer familial à la fin de son adolescence pour partir en tournée dans le Sud des États-Unis avec des spectacles de charlatan ou de minstrels, des carnavals et des cirques. Influencé par Art Tatum, Earl « Fatha » Hines, Count Basie et surtout Jay McShann, il a développé un style blues au piano qu’on reconnaît instantanément. Il le qualifie de « bluegrass blues », en ajoutant : « Je ne joue comme personne d’autre. »
D’après les écrits de Vann, il a d’abord été membre de la Musician’s Union à Charleston en 1942 où il jouait en solo dans les boîtes de nuit comme l’Alhambra, le Silver Slipper et le Gypsy Tea Room. Les samedis après-midi, il donnait une prestation de 30 minutes à la radio de WCHS, commanditée par Buttercrust Bread. Le chef d’orchestre Cal Greer l’a entendu jouer à la radio et il l’a embauché pour une tournée de spectacles de six ou sept mois dans le circuit des villes minières des États du charbon, la Virginie-Occidentale, la Virginie et l’Ohio. Lorsque monsieur Greer est tombé malade, ses musiciens se sont séparés et Vann est retourné à Columbus, dans l’Ohio, où ils avaient joué auparavant.
Durant environ quatre ans, Vann a dirigé son propre orchestre qui jouait régulièrement à la Légion de l’armée américaine. Ses musiciens et lui accompagnaient des danseurs, des humoristes et des chanteurs à la manière de Count Basie et de Jimmy Lunceford (« J’y ajoutais ma touche de blues », a dit Vann). En 1947, le saxophoniste Frank « Floorshow » Culley l’a remarqué. Selon le souvenir de Vann : « Il m’a dit que son ami Ahmet [Ertegun] avait une maison de disques… qu’il cherchait un pianiste de blues et que je serais parfait. » Il s’agissait d’Atlantic Records et Frank Culley a fini par persuader Vann et ses musiciens d’aller à New York pour une séance d’enregistrement au début de 1949. Ils ont accompagné Frank pour enregistrer plusieurs chansons, dont « Cole Slaw » puis ils sont partis en tournée.
Vann est rentré à New York (sans le reste de son groupe) et il est devenu pianiste et arrangeur chez Atlantic jusqu’en 1955 où il a travaillé avec la crème des artistes de R&B. Plusieurs enregistrements auxquels il a participés sont devenus des succès, notamment « Chains of Love » de Big Joe Turner (coécrit par Vann, même s’il n’a reçu ses redevances que récemment), « One Mint Julep » des Clovers, « 5-10-15 Hours » et « Mama He Treats Your Daughter Mean » de Ruth Brown et « Such A Night » des Drifters avec Clyde McPhatter. Dans « Boogie Woogie Country Girl » de Big Joe Turner, on l’entend lancer : « Donnes-y du swing, Vann! » Vann a aussi collaboré avec le compositeur à succès Doc Pomus, les grands bluesmen Brownie McGhee, Sticks McGhee et Sonny Terry, les chefs d’orchestre Freddie Mitchell et Joe Morris, ainsi que le trompettiste Hot Lips Page.
Atlantic a lancé nombre de disques avec Vann comme chef d’orchestre, dont « After Midnight » et « Blue Sender » en 1952, qui sont encore disponibles aujourd’hui. Vann a aussi participé à des séances d’enregistrement pour des centaines de simples parus sur des étiquettes célèbres et plus modestes : London, Grand, Apollo, Teen, Sound, MGM, Swan, Sue, Chime, Cherry, Smash, Courtesy, Capitol, Savoy, Memo, Derby, King et Columbia.
Pendant une visite à Atlantic City pour aller dépenser sur la Promenade, Vann a rencontré des membres des Nite Riders, un groupe de Philadelphie. Pendant qu’il habitait et travaillait encore à New York, il a commencé à passer du temps à Philadelphie pour prendre part à des séances d’enregistrement et jouer en spectacle. En 1954, il est devenu membre des Nite Riders. L’année suivante, la formation s’est rendue au Canada pour se produire au fameux Esquire Showbar à Montréal. Engagés pour deux semaines, les Nite Riders ont été si populaires qu’ils sont restés à l’affiche pendant 19 semaines. Ils ont fait de longues tournées dans le nord-est des États-Unis. En 1960, le groupe était basé à Hartford, au Connecticut, où il a ouvert son studio d’enregistrement. Les Nite Riders ont fait carrière pendant neuf ans et ils ont enregistré plusieurs disques recherchés, incluant deux pièces instrumentales sur étiquette Capitol : « The Vacation Train », « Night Ridin’ » (parues sous le nom de Doc Starkes and the Night Riders).
Au cours de ce premier voyage à Montréal, Vann a rencontré une jeune femme appelée Ruth. Les amis de cette dernière l’ont incitée à aller voir jouer un groupe du tonnerre et comme elle le raconte : « Je suis entrée et j’ai oublié de repartir! » Le couple s’est marié en 1963 et il est encore ensemble aujourd’hui. Vann s’est installé à Montréal et il a joué pendant quelques années avec son orchestre Cap’n Vann and the Pirates, dont les membres étaient costumés. Il est aussi réputé pour s’habiller comme Sherlock Holmes avec la cape, le chapeau et la pipe à son image.
Tandis qu’il était en tournée avec Frank « Floorshow » Culley, à Baton Rouge, en Louisiane, Vann a donné au jeune Dr. John des conseils au piano. Dr. John lui a rendu la pareille en 1990 lorsque lui et Doc Pomus ont instigué son apparition au festival Piano Blues Who’s Who à New York, son premier spectacle dans cette ville en 40 ans. Parmi les têtes d’affiche, il y avait Johnnie Johnson, réputé pour son travail avec Chuck Berry, et Booker T. Laury, le légendaire bluesman de Memphis. Quand Dr. John s’est produit au Festival international de Jazz de Montréal ce même été, il a fait monter Vann sur scène en tant qu’artiste invité. Ces événements ont entraîné une série d’événements qui l’ont mené à jouer dans le circuit des festivals blues, à devenir le sujet d’un film documentaire (en cours de production), et enfin, à créer cet enregistrement.
En spectacle, Vann envoûte le public. Vêtu d’un haut-de-forme pailleté avec les doigts qui dansent à vive allure sur le clavier, il est un véritable artiste. Sa performance au piano prouve pourquoi il est une légende : c’est un vrai musicien qui joue comme tel! Il qualifie de « martèlement et d’aboiement » son style de jeu au piano et de chant. En effet, c’est vigoureux. Mais attention, il comporte a aussi une grande finesse.
En février 1997, Vann « Piano Man » Walls a obtenu un prix Pioneer Award de la Rhythm & Blues Foundation lors de son huitième gala annuel qui a eu lieu à New York. Après avoir été présenté par Aretha Franklin et Ruth Brown, il est allé tout droit au piano; il a eu à une ovation debout pour sa performance puis il a traversé la scène afin de recevoir ce prix pour son talent et sa contribution durable au développement de la musique populaire. Parmi les récipiendaires de la soirée, il y avait les Four Tops, Smokey Robinson et les Miracles et Clarence « Gatemouth » Brown.
Sur cet album, Vann « martèle et aboie » à sa manière charmante et inimitable, accompagné par le meilleur groupe blues de Montréal, le Stephen Barry Band, avec Michael Jerome Browne au micro. Forts d’une longue carrière qui compte plusieurs albums formidables, ces musiciens l’épaulent de manière sympathique dans un répertoire agréablement varié. Vann reprend certaines chansons de ses débuts, dont « Chains of Love » (de 1951) et « After Hours Session » (enregistrée avec Frank Culley en 1949 et inspirée de « After Hours » d’Avery Parrish) puis quelques-unes de ses compositions récentes et souvent humoristiques tirées de son répertoire de spectacles.
Vann rend hommage à d’autres grands pianistes en réinterprétant leurs pièces : « In the Evening » provient de la dernière séance d’enregistrement de la vedette blues Leroy Carr en 1935 (alors intitulée « When the Sun Goes Down »); la pièce instrumentale « Honky Tonk » a été un succès monstre pour Bill Doggett en 1956; « Misty » est un standard indémodable d’Erroll Garner composé en 1954; puis « Watermelon Man » de Herbie Hancock est tiré de son premier album sur étiquette Blue Note en 1962. L’année suivante, Mongo Santamaria s’était classé au top dix du palmarès avec cette chanson.
Au soir d’une longue et fructueuse carrière, Vann « Piano Man » Walls a livré cet album merveilleux pour votre plaisir musical.