Dominic Tardif
La première édition du Festival cinéma du monde de Sherbrooke s’installe à la Maison du cinéma et à la Salle du Parvis du 10 au 13 avril. Une quarantaine de long-métrages, 16 documentaires et 23 courts-métrages seront projetés, dont Vann «Piano Man» Walls: L’esprit du R&B, vibrant hommage à un des principaux bâtisseurs de la musique séculaire américaine. Le réalisateur Steven Morris et le producteur Martin Bolduc se rappellent l’homme.
Searching for Sugar Man (2012): lumineux récit du curieux destin de Rodriguez, folk singer inconnu chez lui aux États-Unis, mais objet à son insu d’un culte en Afrique du Sud. J’m’en va r’viendre (2011): gros plan sur Stephen Faulkner, pilier révéré de la chanson québécoise qui peine à payer son loyer. A band called Death (2012): portrait d’un trio black qui en 1975 préfigura le punk et dont pas personne pantoute ne se souvenait.Les documentaires exhumant des marges des figures toutes aussi singulières que fascinantes pleuvent récemment et participent à l’écriture d’une histoire alternative de la musique populaire. Histoire alternative dans laquelle ceux qui avaient injustement été coupés au montage de notre mémoire collective sont enfin traités comme les héros qu’ils sont.
Vann «Piano Man» Walls: L’esprit du R&B, hommage au regretté pianiste du même nom qui connaîtra la gloire à la tête du groupe maison d’Atlantic Records de 1949 à 1955 avant de prendre femme et pays à Montréal et de sombrer pendant plus de quarante ans dans l’oubli, s’inscrit dans cette série de films ambitionnant de corriger une injustice.
«C’est vrai que le timing est bon», admet le producteur Martin Bolduc, tout en précisant que le réalisateur Steven Morris travaille depuis 1990 à ce documentaire, qui aura donc pris plus de vingt ans à voir le jour dans une salle obscure. «Vann s’est fait arnaquer pour ses droits d’auteur alors il était méfiant, il pensait que j’étais un autre exploiteur», ajoute le cinéaste.
Accompagnateur des plus grands artistes de son époque (dont Ruth Brown et Big Joe Turner), professeur du légendaire Dr. John, pionnier d’une des plus grandes étiquettes de disques en Occident; Vann Walls aura été relégué au second plan par l’avènement du rock’n’roll, puissante vague déferlant sur la jeunesse nord-américaine.
«Il s’est installé à Montréal par amour et parce que sa musique était moins populaire. Le R&B a été usurpé par les Blancs. Une fois qu’Elvis est arrivé en janvier 1956, les Noirs ont été tassés. La musique de Pat Bonne des années 50, c’était une copie conforme de la musique noire, mesure par mesure. Le film nous permet de comprendre un grand pan de la musique populaire américaine et de comprendre comment plusieurs musiciens noirs étaient exploités.»
«Son, je suis fier»
Vann Walls est réduit à Montréal au cours des années 60, 70 et 80 à caresser les ivoires dans les tavernes et les lounges d’hôtels pour gagner sa croûte. «Il n’a jamais été briqueteur ou plongeur, il a toujours réussi plus ou moins dignement à vivre de la musique, même s’il devait jouer de la samba.»
Steven Morris croise pour la première fois la route du grand oublié dans une salle de classe et découvre, à son grand étonnement, qu’il connaît pour ainsi dire le musicien, même s’il ne le connaît pas exactement. «J’étais inscrit à un cours d’histoire du blues et le professeur a invité Van à la fin de la session. Il joué du piano comme un ange descendu du ciel. Je me suis rendu compte que j’avais non seulement beaucoup de musique signée Van dans ma collection sur des compilations de blues, mais que j’avais aussi plusieurs chansons où Van est directeur musical, arrangeur, pianiste derrière le chanteur.»
Le mélomane poursuivra de ses assiduités un Walls qui se montrera d’abord rétif, jusqu’à ce qu’il demande, en terminant une séance de tournage, à jeter un oeil à la salle de contrôle. «Il a vu les 48 pistes de la console de son et c’est à ce moment-là qu’il a avoué qu’il aimerait faire un nouvel album, qu’il avait encore un disque en lui. Je lui ai dit: “Je vais réaliser ton disque, mais tu vas me laisser filmer.” J’avais ma trame narrative. C’est le moment où j’ai compris comment on allait faire le film.»
In the evening, ultime album de Vann Walls dont le documentaire de Morris raconte la création, lui méritera en 1997 une nomination aux Junos dans la catégorie du meilleur album blues et marquera un certain retour en grâce. «Il était tellement fier. Je l’ai fréquenté pendant dix ans et c’était toujours moi qui prenais l’initiative de l’appeler. La seule fois qu’il m’a appelé, c’est le jour où il a écouté l’album pour la première fois. Il avait bu quelques verres il m’a dit: “Son, je suis donc fier.” Il était vraiment content.»
À retenir
Vann «Piano Man» Walls: L’esprit du r&b
Samedi 12 avril à 20h
La Maison du cinéma (63, rue King Ouest)
Information: www.fcms.ca
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